Cet automne j'ai passé beaucoup de temps dans les archives en ligne des Côtes d'Armor. Mon père a pu me fournir les noms, dates et lieux de naissance approximatifs de mes 8 arrière-grand-parents et j'ai pu remonter, branche par branche, parfois jusqu'au 16e siècle.
Et j'ai au fur et à mesure révisé mes connaissances de l'histoire locale.
Comment expliquer que des ancêtres lettrés, y compris les femmes, qualifiés d'honorables au 17ème siècle, s'entre-mêlant avec des prêtres, notaires, avocats, écuyers de basse noblesse, toutes sortes de notables que l'on retrouve parrains ou témoins dans les registres paroissiaux et les premiers registres d'état civil autour de la révolution, n'aient en une poignée de générations transmis que des landes et un peu de pierre à des descendants devenus illettrés dans la 2e moitié du 19ème siècle, chair à canon en 14-18, et complètement complexés par leur langue, leurs habits, leurs culture et leur pauvreté de ploucs tout droit hérités de pauvres hères pas évolués depuis le Moyen-Age (croyions-nous) au milieu du 20ème siècle, jusqu'à ce que l'éducation nationale un peu mieux organisée leur redonne un semblant d'horizon et de dignité?
C'est très bien expliqué ici... J'ai effectivement des ancêtres tisserands, et des paysans nés de père en fils dans le même hameau pendant des générations. Je suppose que ce sont eux qui ont investi leur fortune de la toile dans les maisons de pierre que l'on vend aujourd'hui pour moins cher que ma voiture dans ce même hameau... quelle ironie!
Mais que retenir de cette histoire d'une déchéance que la mémoire familiale a oubliée de verbaliser, n'en transmettant que les émotions que j'identifie très bien à présent:
- la peur de l'avenir, bloquant toute initiative, tout esprit d'entreprise; l'emploi idéal est celui de fonctionnaire, ou à la rigueur dans une grosse boîte, sous le confortable parapluie de l'autorité d'un système ou d'un patron puissant. (A l'époque, comme le résumaient très bien les chouans, il y avait Dieu et le roi, qui les laissaient mener leur business et transmission familiale sans trop les déranger, à part avec quelques impôts excessifs de temps en temps)
- la tristesse du présent, de la difficulté de savoir Qui On Est, coupé de ses émotions les plus enracinées, et de la créativité dont elles sont génératrices, ayant perdu les repères de la langue, des lieux, de légendes d'un autre temps sans pour autant intégrer complètement les nouveaux savoirs un peu trop froids, un peu trop vides des livres et des ordinateurs; cerveau gauche hpertrophié, cerveau droit estropié.
- la honte des erreurs du passé, mais quelles erreurs? il reste ce malaise qui ressort à chaque génération plus tôt dans le chemin de vie, on s'énerve ou on déprime, on se noie dans l'alcool, on rumine de vieilles rancoeurs, ou on finit par perdre la tête. Bon j'exagère un peu ce n'est pas systématique mais pas loin.
Il est temps de faire du nettoyage. Je sens bien confusément que je ne peux pas grandir, évoluer encore sans me débarrasser de quelques-unes de ces casseroles. Au moins je les comprends un peu mieux qu'il y a 3-4 mois à présent.
Je ne peux aussi m'empêcher de faire le parallèle de cette lente déchéance socio-culturelle avec celle qui pourrait toucher nos futurs arrière-arrière-petits-enfants d'Europe, si on ne se bouge pas un peu pour accompagner plus directement les mutations à venir du 21ème siècle naissant. Mais comment??? en tout cas, il faut veiller à garder la mémoire, et l'éducation... pour le reste il faut leur faire confiance, ils seront créatifs.
Comment? Déjà se poser la question est un grand pas vers cet accompagnement. Quel plaisir de te lire! bon Noël également et bonne année (s?)
Rédigé par : aloun | samedi 25 décembre 2010 à 19h40