Au fil des semaines, ma peur s'envole, et je ne regrette rien.
Quand j'étais enfant, toute nouvelle expérience physique me faisait peur. J'étais nulle en gym parce que j'anticipais tellement, mentalement, toutes les manières de me faire mal que j'étais incapable de déplacer avec force et souplesse mon corps complètement crispé et maladroit.
J'ai beaucoup de reconnaissance pour un couple de profs de gym que j'ai eus au collège, et qui m'ont chacun à sa façon aidée à dépasser ces blocages.
Elle, en nous enseignant la relaxation musculaire et la gym rythmique et sportive, deux approches douces du corps et de la joie de vivre qui m'ont donné une autre perception, hors angoisse, de l'activité physique.
Lui, en insistant pendant des semaines pour me faire progresser de 10 cm sur une corde, de 5mn en endurance, ou me convaincre de faire le tour d'une barre en cochon pendu. Je n'ai pas fait d'arrêt cardiaque (malgré un pouls mesuré une fois à 210, si je me souviens bien, tant le coeur du légume que j'étais à 14 ans s'emballait au moindre effort, en fait moitié effort, moitié... stress!). Je n'ai ni brisé ma nuque ni brûlé mes mains.
Et ces micro-réussites m'ont accompagnée dans tous mes efforts ensuite, pour apprendre à skier, à surfer dans la neige, à faire de la planche à voile, à patiner sur la glace. Toujours à mon rythme très tranquille, donc y'a'pas'dkoa s'extasier, m'enfin, je m'amuse. Et même aujourd'hui quand je touche les genoux avec la tête, les jambes étalées devant moi, au yoga, je me sens sereine, enfin réconciliée avec ce corps dont je n'ai longtemps su que faire et qui s'assouplit chaque année un peu plus, au prix d'un patient travail, toujours dans la douceur.
Il y a 10 jours, je suis montée sur le pâturage derrière chez moi. En flânant tout simplement, le nez sur les arbres, songeant au dénivellés relatifs: entre ma maison et le sommet de la forêt à moins d'un km, il y a plus de 200m de dénivélé, ce qui doit représenter plus que mes ancêtres du Centre Bretagne n'ont jamais arpenté, pourtant dans la zone de "Menez", montagnes en breton. Je suis arrivée presqu'au sommet de la piste de ski, encore déserte par 16 degrés à cette mi-novembre particulièrement douce, sans même m'en rendre compte. J'ai regardé l'heure: je n'avais mis que 5mn de plus que d'habitude, et je n'avais aucune fatigue, même pas le souffle rapide. Dire que je faisais une crise d'asthme une nuit sur trois à certaines périodes de ma vie... J'ai eu l'impression d'une harmonie nouvelle avec ce corps que j'apprivoise décidément chaque année un peu plus...
L'essentiel est d'être dans le flux... je n'ai toujours pas bien compris les recettes (ah, le fameux lâcher-prise!), mais je sais que j'ai avant tout besoin d'être libre. Libre d'observer les possibles et choisir, de placer l'intention qui m'inspire, et qui va me guider vers la suite, mais intuitivement, pas par un énième calcul mental. J'utilise mes capacités d'analyse désormais en support à mon intuition et à mes émotions, plus le contraire.
Cela n'était plus possible dans mon travail il y a quelques mois, et pourtant le plus paradoxal est que je fais encore une partie de ce travail, pour le même chef et avec les mêmes personnes, dans ma nouvelle activité. C'est une situation complètement inhabituelle mais particulièrement riche d'enseignement, puisque cela me permet de mesurer à quel point la structure dans laquelle j'étais enfermée biaisait mes perceptions, et donc mes actions. Chaque semaine qui passe efface un peu plus les émotions négatives que j'avais accumulées jusqu'à un point de retour, et même s'il me reste une immense peur devant chaque prise d'initiative, je sens mon énergie et ma créativité littéralement gonfler. Je suis très curieuse de voir ce que cela va donner ces prochains mois.
J'ai arrêté aussi de m'angoisser à la recherche du sens de ma vie. Cela m'a tellement perturbée au début de cet automne...
Je n'arrive pas à me souvenir de mes rêves d'enfant.
Tous mes souvenirs sont plein de cette structure que j'ai parfaitement maîtrisée: travail scolaire perfectionniste et parfaitement récompensé, bon comportement social systématiquement loué, petite dose de créativité-évasion, mais version sage, limitée à quelques écrits que quasi-personne n'a jamais lus, trajectoire de vie absolument lisse avec des parents et frère et soeur sans histoire comme à peu près tous les ancêtres que je scanne depuis 3 semaines dans une crise aigüe de généalogie (encore pas trouvé une fille mère sur 12 générations, et même une surprenante longévité pour des gens qui ne voyaient jamais un médecin), un compagnon trouvé assez lentement mais suffisamment exceptionnel pour me garder de l'ennui pour de longues années, et des enfants comme on est contents de les imaginer avant de se lancer dans la maternité.
Mais voilà, je n'ai pas de rêves.
D'ailleurs, je rêve peu la nuit...
C'est quand même bizarre d'avoir une vie aussi lisse. Je ne regarde plus de films et je ne lis plus de romans, tant les émotions qui y sont décrites me paraissent puériles, je préfère vivre pleinement les miennes, en prise avec le monde.
Parfois j'ai peur de devenir folle, soit de trop d'ennui, soit de trop d'imagination, mais il reste assez de structure pour me garder l'illusion que tout cela a un sens. D'ailleurs la généalogie m'a aidée à me re-cadrer, à m'enraciner dans une lignée donnant au moins un sens à ma trajectoire familiale, à défaut du reste.
Je vais m'y remettre.
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