Louise était pleine de vie.
Bébé déjà, joufflue, joyeuse, bruyante, elle était la fierté de Marie-Jeanne, qui ne manquait pas de la prendre partout avec elle, du jardin à la cuisine, de l'église au champ, de la foire à l'épicerie, ravie des commentaires admiratifs des matrones du village. Quelle belle enfant Marie-Jeanne avait faite là! celle-là ne donnerait guère de soucis à sa mère: cela se lisait dans le rose de ses joues potelées et le brillant de ses yeux bruns, et la Lisette du bois l'avait même confirmé en lisant l'avenir dans son marc de chicorée.
Vaillamment charpentée, grande et forte pour son âge, Louise aida donc Marie-Jeanne depuis sa plus tendre enfance, au potager, au lavoir, à l'étable, au poulailler. Elle ramassait plus de pommes de terre, après la moisson d'août, qu'elle n'en mangeait de tout l'hiver, et pourtant elle avait bon appétit. Elle ne craignait ni le gel, ni le vent, ni la boue, ni les brûlures du soleil: dehors par tous les temps, toujours volontaire pour la moindre course à faire ici ou là, elle trottait du matin au soir, et il faut bien dire que l'occupation, en ce temps et lieu modeste, ne lui manquait pas. Elle nourrissait les cochons, qui craignaient déjà sa poigne alors qu'elle n'avait pas douze ans; à quinze ans, elle aidait au vêlage et plumait les volailles, les pieds dans la boue, les mains dans la fiente, sans se soucier de la vaine coquetterie qui semblait tant tourner la tête aux autres filles de son âge. Elle était bien occupée, va, et avec les grand-parents qui prenaient de l'âge, les petites soeurs pas encore dégourdies, et les parents restés sans fils, il était clair que la ferme aurait toujours besoin de ses bras, de ses jambes, de sa tête...
... De sa vie.
Et Louise était heureuse ainsi, chaque jour à vaquer tant et si bien que les années passaient déroulant leurs saisons, parsemées de naissances, de départs et de retours, mais marquées de la même certitude: Louise était là. Louise s'occupait de tout.
Louise était pleine de vie.
(Papyrus à suivre ici)
Il est très fort ce texte Kerléane.
Tu parviens à donner vie à ton personnage et à faire pressentir son destin avec sobriété et pourtant beaucoup de délicatesse.
En si peu de ligne c'est rare.
Bravo
Rédigé par : LadyR. | mercredi 30 mai 2007 à 11h00
Merci Lady pour cet encouragement! je rumine les personnages de ce papyrus intérieurement depuis des mois, d'où certainement le pouvoir d'évocation au moins pour celui-là, c'est du bien digéré - lol. Mais je n'avais pas trouvé jusqu'à cette semaine la volonté de les mettre en mots. La dernière soeur sera la plus difficile. En toute rigueur, il faudrait que je travaille plus les textes pour éliminer les répétitions d'adverbes, harmoniser la musique des phrases (rythme et sons), et renforcer l'évocation par un travail sur le vocabulaire... mais je suis un peu paresseuse et beaucoup débordée... tant pis.
Rédigé par : kerleane pour LadyR | mercredi 30 mai 2007 à 22h32