Dimanche après-midi, le grand soleil du matin nous a permis d'aller pique-niquer en montagne, et c'est tout emplie de la sérénité de cette balade en famille que je m'asseois un moment dans le jardin, à notre retour, avec le Psychologies magazine d'avril (je rattrape mon retard de lecture...).
Mon humeur commence à se gâter avec l'article sur "Second life", qui explique comment quelques millions de gens s'inventent une seconde vie... plus belle? certes: avec plus de sexe, d'argent, de pouvoir, de célébrité. Virtuels. C'est glauque...
Et derrière cet article, une pub. Pas une de ces pubs futiles sur une crème de nuit ou un complément alimentaire. Une pub pour le dernier livre de Tatiana de Rosnay, la petite-fille du figuier pour moi, puisque c'est sa note expliquant le titre "The Fig Tree" de son blog qui me l'avait fait découvrir à mes débuts dans la rue des psycho-blogs, où elle tient une grande vitrine.
Ce livre est suffisamment médiatisé, déjà best-seller international et futur film, pour que je n'en rappelle pas l'histoire. Pour moi, assise dans mon quotidien merveilleux de quiétude et de verdure, peu importe le livre, ce qui me frappe en plein fouet, c'est juste le fond rouge de ces mots "Le 16 juillet 1942, Sarah, 10 ans, est raflée, comme quatre mille autres enfants."
4000 enfants au Vél'd'Hiv. 4115, ou 4051, les chiffres exacts varient un peu, mais 4000 en tout cas.
Et tout de suite, dans ma tête, la douloureuse tristesse de la chanson de Goldman, que je ne peux plus écouter sans pleurer depuis que je suis maman, "comme toi":
Elle s'appelait Sarah elle n'avait pas huit ans
Sa vie c'était douceur rêves et nuages blancs
Mais d'autres gens en avaient décidé autrement
Elle avait tes yeux clairs et elle avait ton âge
C'était une petite fille sans histoire et très sage
Mais elle n'est pas née comme toi ici et maintenant
J'ai reposé le magazine, je me suis mise pieds nus, je suis allée m'asseoir en tailleur sur l'herbe, sous le soleil, face à la montagne, et je me suis encore une fois demandé: pourquoi tant de drames là-bas, loin de moi dans le temps ou dans l'espace, mais malgré tout portés à ma connaissance, conceptualisés, traduits des mots (raflée!) et des nombres (4000!) en images (Sarah... la photo... mes filles), en émotions qui m'explosent soudain le fin fond de mon cerveau reptilien de maman mammifère... ainsi ma vie à moi est sans drame, mais ces drames existent ailleurs... pourquoi?
C'est quoi le sens de tout cela?
Et ce drame-là, ce morceau de génocide en marche en juillet 1942, m'a soudain obsédée comme tout ce que j'ai pu lire, voir, entendre, sur la shoah, depuis ma découverte de ces horreurs grâce à un documentaire de la bibliothèque de ma classe de CE2. Je revois encore l'étagère...
Alors, tard dimanche soir, j'ai vérifié les chiffres dans le Quid, et j'ai regardé mes filles dormir, me répétant qu'elles ne risquent rien, elles, ici et maintenant.
Lundi matin, déplacement à Genève pour une réunion dans le quartier des organisations internationales, je croise à deux reprises des groupes d'enfants, en rang de deux, mélange coloré, bruyant, joyeux, et l'horreur me revient dans les yeux. 4000... 200 groupes d'enfants comme ceux-ci? Des petits, des grands, des maigres, des gros, des timides, des hyperactifs, des filles et des garçons. Des mômes... Comme les vôtres. Comme les miens.
Lundi soir, aéroport. Un gamin qui hurle, et toute l'aérogare semble incommodée... Malaise. Peut-on seulement concevoir la même situation, puissance 4000?
Mardi matin, je marche encore, mais cette fois dans le 15ème arrondissement, sans savoir que le Vél d'Hiv n'est pas bien loin; il y a là une boulangerie qui sent si bon le pain français, une boucherie, un coiffeur, la poste... et une école maternelle, des parents qui y conduisent leurs petits, se saluent, échangent quelques mots. Tranches de vie. Le ciel est grand bleu. Mais moi je ne peux m'empêcher de projeter ce quotidien que j'observe un peu détachée là en 2007 dans le Paris d'il y a 65 ans.
Et finalement, j'arrive sur les boulevards près de la Seine, je regarde les grands immeubles qui arborent fièrement toutes sortes de logos de notre société d'abondance et de bonheur, Yves Rocher, HP, TF1... la beauté, la technologie, la communication.
Alors je vais bosser, voir mes collègues et mon client, discuter projets, problèmes et solutions, continuer, de mon mieux, ma petite tranche de vie à moi... après tout, Goldman chantait aussi:
Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie
Mais tout de même, je voulais venir dire ici que je n'ai toujours pas trouvé... le sens de tout cela.
Faut-il y trouver un sens autre que celui du mal dans toute son absurdité ?
Et accepter cette absurdité comme quelque chose d'incompréhensible.
C'est à la fois le psy et l'homme qui te parle. Le psy dirait volontiers qu'il ne comprend pas, toujours pas ce qui peut pousser des hommes à de tels comportements.Même s'il a quelques soupçons.
L'homme est horrifié.
D'un revers de manche, on peut dire "l'histoire" ! L'histoire humaine, l'histoire des hommes... Celle qui fait que l'humanité grandit quand même... du moins ai-je envie de l'espérer. Avec ses travers, ses erreurs et ses horreurs.
J'ai deux filles. Elles s'appellent Sarah, et Déborah. Je pourrais ajouter que mes autres enfants s'appellent Jonathan, Simon, Mathieu... et Harold (celui-là, ce prénom-là, pas juif, je ne sais pas où je suis allé le pêcher! Si je sais...). Je ne suis pas juif... Je n'ai jamais cru ni voulu croire un seul instant que ces prénoms-là pouvaient un jour leur porter préjudice... mais quand je pense à ces années 41-42-43-44... mon sang se glace.. comme le tien. Comment ? pourquoi?
Mais nous sommes vivants... et, sans pour autant trahir la mémoire de ces enfants, continuons à l'être, vivant. C'est la seule victoire à laquelle ils auront peut-être participé.
Je rends personnellement hommage à tous ceux qui sont morts pour, contre, avec, malgré.. nous...
La vie est ce qu'on leur doit...
Bon, t'auras réussi à me faire pleurer... Qu'est-ce que je pleure, ce soir, en parcourant ces blogs !!!
Rédigé par : Psyblog | vendredi 01 juin 2007 à 22h57
/ ta note sur mon blog...
Pleurer n'est pas un problème pour moi.
D'autant que je n'ai pas pleuré de tristesse, mais d'émotion.
C'est bon, les émotions !
Rédigé par : Psyblog | mardi 05 juin 2007 à 01h17
Je suis soulagée alors! mon émotion à moi, face au magazine, était si violente que j'ai ressenti le besoin de la poser quelque-part, d'en parler et ici cela s'y prête bien... j'ai déchargé le fardeau ainsi... et je suppose qu'un psy doit avoir de sacrées épaules pour tout ce qu'on décharge chez lui, ce n'est pas un métier pour moi ;-)
Rédigé par : Kerleane pour Psyblog | mardi 05 juin 2007 à 21h38