Si vous avez loupé le début, l'exploration de mon parcours spirituel commence ici...
14h29. Les pieds sur les pavés bruns du parvis, aux bords arrondis usés par d'autres piétinements au cours des siècles, je regarde l'heure, car il me semble que je dois mémoriser tous les détails de ce jour-là. Je suis dans le petit groupe à qui la décoration de l'église a été confiée, et le responsable de l'animation musicale vient de se joindre à nous. Il se présente. Je ne le connaissais pas; il me frappe par la force tranquille qu'il dégage. Je crois qu'il fait partie des gens qui ont une aura quasiment perceptible par le commun des mortels. Mais il en est inconscient. C'est un messager.
Nous passons l'après-midi à décorer l'église, des panneaux de nos poèmes et credos, de dessins colorés figurant la descente de l'Esprit sur le groupe, de bouquets de fleurs que j'arrange au gré de leurs couleurs, au hasard de mon inspiration du moment. Je ne connais pas cette église, de l'autre côté de la ville, mais elle respire une profondeur inhabituelle. J'ai l'impression de percevoir le passage des âmes venues prier ici depuis des générations dans ses dalles et ses boiseries. Il y règne une grande sérénité.
Mais le temps n'est pas au recueillement, le temps est à la fête! cette église, nous allons l'animer formidablement ce soir, avec tout l'éclat et le dynamisme que notre jeunesse réclame. Les fleurs, les panneaux de couleur, bien sûr; mais aussi un son-et-lumière, pour la mise en scène théâtrale qui s'impose pour frapper notre génération télé-stéréo de la puissance du souffle de l'Esprit-Saint qui va descendre sur nous. C'est le messager qui a la responsabilité de ce spectacle, et tandis que nous finalisons la déco, il peaufine ses répétitions. Dans le petit groupe, l'excitation monte, les yeux brillent, on rigole. Enfin tout est prêt; une petite pause dans le café d'à côté, puis tout le monde rentre souper et se préparer, car la cérémonie aura lieu en soirée.
Quand je reviens, il fait nuit, il fait froid. Les miens rentrent dans l'église, avec les familles. Nous restons sur le parvis, attendant que vienne enfin l'heure de notre entrée solennelle dans l'église illuminée où l'évêque va nous accueillir.
Car le sacrement de la confirmation fait partie des sacrements que seul l'évêque peut donner, ou si nécessaire son représentant, mais ce dernier doit être explicitement nommé par l'évêque pour le remplacer. Les prêtres ordinaires peuvent baptiser, confesser, marier, enterrer, soigner les malades, donner la communion; mais pas confirmer.
Ce n'est pas un sacrement anodin.
Tout cela m'intimide. Je me sens bizarre, j'ai un noeud dans le ventre. Serai-je à la hauteur? j'ai tellement de doutes sur ma valeur, ma capacité à faire le Bien, à avancer vers la Lumière. Comme tous les confirmants, j'ai écrit une lettre justifiant ma démarche à l'évêque. C'était la dernière étape de la préparation. Ma lettre était très longue, plusieurs pages, car j'ai voulu exprimer toute cette difficulté de discernement, et en même temps, dire combien j'ai envie de chasser définitivement mes idées noires, mes angoisses, ma peur du Mal, pour progresser vers plus de force, de sagesse, de bonté.
Peut-être que ma lettre va lui faire peur. Peut-être que je ne suis pas prête.
Toutes ces pensées se bousculent dans ma tête. Sous le porche, je croise le messager. Il a dû percevoir mon angoisse et mes doutes, ils doivent se lire sur mon visage inquiet: il hausse les sourcils, interrogateur: "çà va?".
Oui, çà va... sourires. Je me détends.
C'est en musique et en lumière que nous entrons dans l'église qui est pleine ce soir. C'est magnifique, c'est grandiose! les chants, les lectures, la liturgie s'enchaînent dans cette ambiance festive: il y a une énergie, une joie incroyable dans cette cérémonie.
Vient le moment du sacrement lui-même. Pénombre et silence. D'abord, l'évêque invoque l'Esprit-Saint - puis il impose les mains sur les confirmands en évoquant les 7 dons du Saint-Esprit que nous allons recevoir: sagesse et intelligence, conseil et force, science et piété, et la crainte de Dieu. C'est par un grand fracas et une grande lumière que sa descente est symbolisée. Alors, un par un, nous allons à la rencontre de l'évêque, afin qu'il marque notre front d'un signe de croix avec le Saint Chrême.
Quand vient mon tour, je lui dis mon prénom; il me sourit: il a lu ma lettre, et il m'encourage.
Que m'a-t-il dit exactement? pendant des années, je me suis accrochée à ses mots dans les moments de doute. Puis je les ai oubliés! j'ai retenu tous les autres détails, mais pas ceux-là! reste l'essentiel: la conviction d'avoir un long chemin devant moi, mais que ce chemin est le bon.
J'ai reçu le sacrement - mon front est huileux. Je regagne ma place.
Et... je tremble. Je tremble, je tremble! je ne peux plus m'arrêter de trembler, comme si toutes les vannes de mes émotions les plus fortes s'étaient ouvertes.
Depuis, en m'intéressant aux médecines énergétiques, j'ai lu que ce type de réaction peut se produire lors d'un puissant travail sur les chakras. En l'occurence ici, probablement les 7eme (imposition des mains) 6e (onction sur le front) et 5e (mention verbale de la descente de l'Esprit Saint dans le coeur).
La cérémonie s'achève comme elle a commencé, dans la lumière et la musique, dans la joie et l'énergie. Nous sortons aussi solennellement que nous sommes entrés, mais cette fois, chacun avec une petite bougie allumée dans les mains - symbôle de la lumière de l'Esprit que nous portons plus fortement en nous désormais.
La petite flamme dans mes mains est encore un peu faible et vacillante, comme mon corps qui tremble. Mais elle est brillante.
J'ai gardé précieusement cette bougie pendant les quelques années qui suivirent, où je poursuivis, mais vainement cette fois, ma quête spirituelle dans le catholicisme: ce sera l'objet du prochain épisode...
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